Parmi les problèmes alimentaires que soulèvent l'accroissement de la population mondiale et ses conséquences à venir, il en est un qui commence à préoccuper les instances de l'ONU et un nombre croissant de gouvernements : la raréfaction croissante des espaces agricoles cultivés. Trente millions d'hectares se perdent chaque année dans le monde pour la production agricole. Pour deux causes bien distinctes, mais qui concourent au même résultat.
-L'abandon.-
Il s'agit, comme le mot l'indique des surfaces délaissées par l'exploitation agricole, soit dans les zones frappées par l'exode rural, soit dans les zones dont les méthodes d'exploitation inappropriées dégradent et stérilisent. Ces terres retournent à la friche, à la lande ou au désert. Au Sahel, par exemple, c'est un cercle vicieux : l'avancée progressive du désert entraine un repli des troupeaux et un surpâturage qui accélère la désertification. Laquelle, selon la CNUCD( Convention des Nations unies contre la désertification) , « est à la fois la cause et la conséquence de la pauvreté ». Pour introduire des pratiques de conduite des troupeaux qui rompent ce cercle, il faudrait investir, toujours selon la CNUCD, deux cents dollars par hectare. Ailleurs, dans les zones sèches, où la couche arable est mince et la productivité de la biomasse est moindre, l'introduction des modes de labour à l'occidentale a détérioré les sols fragiles. Le continent africain est menacé, estime la CNUCD, de perdre les deux-tiers de ses terres arables d'ici 2025. Ce phénomène de dégradation ne touche pas seulement les pays que l'on disait naguère sous-développés : l'Australie, le Middle -West américain, le sud de l'Espagne, par exemple, sont touchés.
- L'artificialisation.-
C'est le détournement agricole vers des occupations autres : extensions urbaines, zones industrielles, infrastructures routières, ferroviaires et aériennes, mitage des espaces par les lotissements et résidences secondaires.
En moins de cinquante ans (1960-2007), la France a perdu 5,1 millions d'hectares de terres agricoles ; soit une moyenne de 111 000 hectares par an. Avec un léger ralentissement dans les années récentes, mais qui se maintient quand même à plus de 50.000. Le coût du foncier est tel dans les villes qu'elles sont mécaniquement amenées à s'étaler sur les campagnes autour plutôt que de densifier leur tissu urbain
La France ne fait pas exception. Partout la progression des banlieues entraine une pression sur les prix du foncier, et donc des évolutions spéculatives. . L'UE, selon les chiffres de la FAO, perd 772 000 hectares par an. L'Italie en a perdu 84 000, la Grèce 73 000, la Grande-Bretagne 68 000. En Allemagne, la régression plus faible – 15 000 par an, moins du tiers de la France-, est surtout le fait des länder de l'ex-RDA, restés plus ruraux que ceux de l'ouest. Les reculs les plus lourds affectent certains pays de l'ex-camp soviétique, où la privatisation d'une agriculture jusqu'alors administrée a entrainé avec le démembrement des structures collectives un exode rural massif ; durant la décennie 1993-2003 (dernière statistique officielle), la Pologne a perdu 255 000 hectares par an, la Bulgarie 80 000, la Lettonie et l'Estonie 50 000 chacune. Quatre pays seulement échappent à ce mouvement. Malte est restée stable, La Belgique et le Luxembourg ont légèrement progressé, 4 000 hectares annuellement conquis par l'espace agricole utile. L'Espagne est seule à avoir significativement gagné : 15 000 hectares par an en moyenne. Aux États-Unis, l'agriculture perd chaque année 500 000 hectares. Même mouvement dans les pays émergents : la Chine, qui doit nourrir 20% de la population mondiale avec 9% de la surface agricole utile mondiale, perd chaque année un million d'hectares, qu'elle compense par l'acquisition en masse d'espaces agricoles en Afrique, ce qui ne fait que déplacer le problème.
Selon Luc Gnacadja, secrétaire de la CNUCD la prise en compte du problème se fait attendre : « les pays membres de la convention, 193 à ce jour, n'ont toujours pas conscience que la lutte contre la dégradation des terres n'est pas seulement un défi de quelques Etats africains vulnérables ». Il en veut pour preuve, dans un entretien récent au quotidien Le Monde, (21 septembre 2011) la faiblesse des moyens dont il dispose : « nous sommes cinquante, près de dix fois moins que les équipes de la convention sur le climat ». Alors que « la désertification touche 1,5 milliard de personnes ». Nous en sommes, conclut-il, à gérer l'inaction ». Alors que le temps presse.
© RCI – juin 2012 - Georges Châtain