Le tabac a une longue histoire dans les Amériques où la première apparition du tabac remonte à 3000 ans. Cette plante était très connue chez les Incas et les Aztèques (les civilisations précolombiennes). Ils la cultivaient et la consommaient roulée sous forme d'un grand cigare appelé « tabaco » afin de communiquer avec les esprits et apaiser les douleurs. Au VII siècle, les Indiens mayas du Mexique sculptaient dans la pierre des dessins montrant l'usage du tabac.
A partir de 1612, les premiers colons américains, installés à Jamestown en Virginie, font du tabac leur source principale de profit, avant le maïs, le coton, le blé, la canne à sucre ou le soja.. En 1776, pendant la guerre d'indépendance américaine, le tabac aida à financer la révolution en servant de garantie aux prêts français consentis aux insurgés.
Découverte en 1808 et isolée en 1828 la nicotine, révèle son extrême dangerosité. Comme l'alcool, le tabac provoque de terribles maladies et des addictions et pose de sérieux problèmes de santé publique. La prohibition de l'alcool aux USA ayant montré ses limites, les états sont bien obligés de gérer cette consommation et d'essayer de protéger les populations malgré elles avec des législations et des taxes de plus en plus contraignantes qui varient suivant les pays. la demande de tabac demeure importante et appelle une offre très efficace de l'industrie tabatière. Celle-ci représente un chiffre d'affaire considérable. C'est une actrice importante du commerce international.
Le plus grand producteur du monde en 2012 est la Chine avec son géant : la «China National Tobacco Corporation». Son histoire n'est pas étrangère avec celle d'un autre géant de l'industrie du tabac: la «British American Tobacco» (BAT). Nous retraçons ici l'histoire de la BAT qui fut créée en 1902, lors d'une joint-venture entre l'American Tobacco et la British Impérial Tobacco, il y a 110 ans, pour conquérir le marché mondial et tout particulièrement celui de la Chine.
Tout a commencé à Durham, petite cite de Caroline du Nord, aux USA, avec une poignée d'hommes:
En 1854, le Dr Bartlett Durham vendit un terrain de quatre acres à la Compagnie de chemin de fer de Caroline du Nord pour construire une nouvelle gare entre Hillsborough et Raleigh. C'est ainsi qu'une petite colonie s'installa, elle allait devenir la ville de Durham: la métropole du tabac.
En 1858, la première fabrique de tabac fut ouverte à Durham par RF Morris. C'était un homme d'affaires prospère de Hillsborough, sans aucune expérience préalable dans la production du tabac. Il persuada un ami , Wesley Wright de le rejoindre à Durham. Ils fondirent ensemble la «Morris Tobacco Co», d'un tabac aromatisé à la fève de Tonka (A ne pas confondre avec Philip Morris qui ouvrit une boutique en 1847 à Londres, sur Bond Street, pour vendre du tabac et des cigarettes et qui est aujourd'hui «Altria-Philips Morris», N° 2 mondial).
Après avoir absorbé W Bowles, W Wright a racheté la part de Richard Blackwall, puis la RF Morris Tobacco est passée en 1864 sous le contrôle de John Ruffin Green. Celui-ci eut un grand succès auprès des cow-boys avec son logo représentant un taureau. Son ami et associé JY Whitted ayant eu l'idée de faire usage de l'image de taureau utilisé par la Société de moutarde Coleman de Durham en Angleterre.
Tabatières des cows boys |
William T. Blackwell et James R. Day créaient un négoce de tabac en gros à Kinston en Caroline du Nord. Leur principal fournisseur était John R. Green. Celui-ci décéda en 1869 à 37 ans. Blackwell acquiert alors ses parts. En 1870, Il récupéra un immobilier à Durham lors d'une vente aux enchères pour 2292 $. Il rebaptisa l'entreprise sous le nom de WT Blackwell.
Après tous ces investissements, Blackwell a besoin de capitaux supplémentaires pour répondre à la demande croissante de la clientèle. Cette même année, il vendit d'un tiers du capital de l'entreprise à un jeune homme de 25 ans, originaire de Chapel Hill (NC), nommé Julian Shakespeare Carr. Cet apport financier permettra la construction d'une nouvelle usine (connue sous le nom "Old Bull»). Elle fut achevée en 1874.
Julian Shakespeare Carr naquit en 1845 à Chapel Hill en Caroline du Nord. Son père John W Carr était un commerçant aisé. Il fréquenta l'université, puis à 19 ans il s'engagea au 3° régiment de cavalerie de l'armée des confédérés. Il se maria à Nannie Carr. Ils eurent deux filles et trois fils.
A 26 ans il est nommé directeur financier de WT Blackwell & CO suite à sa prise de participation dans la compagnie. Il contribua activement au développement de celle-ci qui devint rapidement la n° 1 mondial du tabac à fumer.
Il revendit avec une substantielle plus-value ses parts à W Blackwell, qui lui-même vendit l'entreprise en 1898 à la «JB Américan Tobacco», pour plus de 3 millions de $ US. JS Carr créa en autres : la « First National Bank, la compagnie de chemin de fer « Durham-Roxboro Railroad ». Il s'impliqua dans l'industrie textile (coton) en fondant la « Duhram Hosiery Mills ». Il cofonda la « Durham Electricité Lyghting Company » permettant ainsi la modernisation des industries de la région. Il s'intéressa de très près à la presse...
J.S Carr était alors l'un des hommes les plus riches de la Caroline du Nord.
Fervent chrétien de l'église méthodiste, il participa à la convention de Robert Raiks à Londres en 1878 et à la conférence mondiale œcuménique des méthodistes dans la même ville en 1881, ainsi qu'au «Méthodiste centennal» à Baltimore en 1887.
J.S Carr fut aussi un homme politique, délégué du Parti démocrate à la convention de 1912. Il fut surtout connu pour son rôle de soutien aux anciens combattants, veuves et orphelins de la guerre de Sécession. Il reçut à cet effet le titre honorifique de «général » de l'association des anciens combattants de l'armée des confédérés, dont il devint le commandant en chef en 1921. Ainsi tout le monde l'appela le «Général Carr».
Mais jusque-là nous avons l'histoire d'un riche notable brillant et respecté du sud des USA. C'est un autre aspect de la vie de J.S Carr qui fait de lui un homme à l'étrange destin.
Le «Général» chrétien sincère et dévoué pratiquait autant qu'il le pouvait le sacerdoce universel. C'est ainsi qu'il aida un petit émigré chinois nommé Han Chiao Shun à devenir pasteur. Il le fit baptiser en l'église méthodiste de Wellington (NC) en 1880 sous le nom de Charlie John Soong, comme en témoigne la stèle érigée en 1944 devant cette église.
Revenu en Chine, à Shanghai, Charlie Soong fut l'ami et le plus proche collaborateur de Sun Yat Sen fondateur du kuomigtang et premier président de la République de Chine. Il fut le père de Mme Chiang kai check (May-ling Soong), de Ching-ling Soong épouse de Sun Yat Sen et présidente d'honneur de la République Populaire de Chine. Un de ses fils, TV Soong, fut premier ministre, ministre des Finances et ministre des Affaires étrangères de la République chinoise d'avant 1949. Il fut en outre un acteur discret de l'industrie du tabac en Chine.
J.S Carr joua un rôle important et méconnu dans le financement de la première révolution chinoise dont Charlie Soong fut le trésorier occulte. Il fut probablement un des conseillers avertis et influents de cette nouvelle bourgeoise chinoise de Shanghai qui construisit le capitalisme chinois.
Huitième enfant d'une famille venue d'Angleterre au 17° siècle, Washington Duke est né le 20 décembre 1820 près de Huisbourg dans le comté d'Orange en Caroline du Nord. En 1865, Washington Duke est libéré de la prison de Libby où il fut incarcéré après son arrestation à Richmond lors de la retraite de l'armée confédérée du général Lee. Démobilisé, il reçoit pour solde de tout compte 5 $ du gouvernement fédéral. Il rejoint alors à pied sa ferme située à 137 miles. Duke devient alors un cultivateur de tabac. On raconte là-bas qu'il fit sa première livraison à Raleigh avec un chariot tiré par deux mulets aveugles.
En avril 1874, Duke s'installe à Durham. Il achète deux acres près de la voie ferrée où il construit une petite usine, point de départ d'une grande aventure industrielle. Avec ses deux fils, W Duke va se trouver confronté à un redoutable concurrent : William T Blackwell.
W Duke prendra sa retraite au début des années 1880 se consacrant à l'Eglise méthodiste et à ce qui allait devenir la prestigieuse Duke Université.
La fabrication manuelle des cigarettes était un travail fastidieux effectué par des immigrants européens de l'Est. Ils pouvaient rouler environ 4 cigarettes en une minute, soit 3000 par jour environ.
En 1875, Allan & Ginter, une entreprise de Richmond en Virginie, offrit un prix de 75.000 $ pour l'invention d'une machine capable de rouler des cigarettes. James Bonsack releva le défi et en 1881, il déposa le breveté d'une machine capable de produire plus de 120.000 cigarettes par jour, soit plus de 200 cigarettes par minute. Chaque cigarette était coupée avec précision, créant un calibrage uniforme. Il réduit ainsi le coût fabrication de 50%.
En 1883 J. Bonsack exposa sa machine à Paris, espérant retenir l'intérêt du monopole de tabac de l'État français. En Angleterre, la firme de Bristol Wills WD & HO fut suffisamment impressionnée pour effectuer des tests de la machine dans leur usine. Wills conclut rapidement que la machine était la meilleure offre disponible. Il acheta les brevets pour l'utilisation de la machine Bonsack en Grande-Bretagne. Ce fut une bonne décision qui permit à Wills d'émerger et de devenir le fabricant britannique de cigarettes leader de l'époque.
En Amérique, les machines Bonsack vont faire la fortune de James B. Duke, qui les adoptera dès 1884.
Machine à rouler les cigarettes brevets US n° 238640-247795 -1881 |
En sécurisant les droits exclusifs les machines Bonsack et en consacrant 20% de son chiffre d'affaires à la publicité, W. Duke & Sons devient en 1889 le premier fabricant mondial de cigarettes et couvre alors 40% du marché américain. En 1890, Duke baissera unilatéralement les prix. Ses concurrents n'eurent alors d'autres choix pour survivre que de rejoindre le consortium qu'il va constituer et qui prendra le nom d'American Tobacco Company. Les cinq entreprises constituantes seront : W. Duke & Sons, Allen & Ginter, WS Kimball & Company, Kinney tabac et Goodwin & Company.
Dès la première année, l'ATC est cotée à la Bourse de New York. Dans les deux décennies de sa fondation, la compagnie absorbera environ 250 entreprises et produira 80% des cigarettes, tabac à chiquer, tabac à fumer et à priser produits aux États-Unis. Les fonds propres passeront de 25.000.000 à 316 000 000 US$.
C'est durant cette année 1890 que Washington Duke va quitter l'entreprise pour laisser ses fils la gérer. James Buchanan " Buck " Duke, que tout le monde du tabac appellera " Buck ", va devenir le patron, et ce sera un grand patron.
Ce ne fut pas seulement un industriel du tabac, mais aussi un électricien averti. En 1913, il créa entre autres la Québec Development Company pour exploiter le potentiel hydroélectrique de la rivière Grande Décharge, principal affluent du Lac-Saint-Jean. La compagnie devient alors la Duke-Price Company. Il construira la centrale hydroélectrique d'Isle-Maligne. Cette centrale sera la plus puissante du genre au monde lors de sa construction. Terminée en 1926, elle appartient aujourd'hui à la compagnie Alcan (aluminium).
En décembre1924, Duke fonda l'Université Duke lui donnant le nom de son père. A sa mort, il laissa environ la moitié de sa fortune à la Fondation Duke.
James Buchanan Duke décède le 10/10/1925. Il est inhumé dans la crypte de la chapelle de l'Université Duke.
Production de cigarettes et de petits cigares aux USA entre 1891 à1901 |
Source : US bureau of corporations – rapport sur l'industrie du tabac
La famille Duke, via des tactiques plus ou moins sournoises, a rapidement mis en place un monopole de l'industrie du tabac. Les Dukes se mariaient avec les Biddies alliés des Rothschild, avec les Drexels, qui à son tour se mariaient avec les Harriman et Goulds. Une stratégie de consolidation verticale fut mise en place.
L'ATC commença son développement en outremer notamment en Grande-Bretagne au Japon et en Chine.
L'American Tobacco Company est alors apparue dans la société américaine comme le «Trust du tabac" ce qui n'était pas très bien vu à Washington.
La période se caractérisait dans le monde des capitaines d'industries par une tendance à la concentration des entreprises, les mots d'ordre sont :
Le chef de file de cette politique est John Davison Rockefeller (Standard Oil) qui rachète les droits de vote des actionnaires d'une quarantaine de compagnies pétrolières et forme avec celles-ci un «Trust» sous sa direction.
La compagnie Carnegie (acier) est aussi un remarquable exemple des mouvements de concentrations horizontales et verticales du capitalisme américain.
Le gouvernement fédéral réagit:
Le cartel est scindé en quatre entités. Ce qui ne fut pas simple. Quatre entreprises furent créées à partir des actifs de l'American Tobacco Company : American Tobacco Company, RJ Reynolds, Liggett & Myers, et Lorillard.
Le principal résultat de la dissolution de la Fiducie American Tobacco fut que le monopole devint un oligopole.
En 1901, J.B.Duke débarqua en conquérant à Liverpool (GB) :
"Bonjour les gars, je suis Duke de New York, je viens prendre le contrôle de vos activités ". Plus ou moins poliment éconduit par les Britanniques, il finit par jeter son dévolu sur Ogden Tobacco Company fondée par Ogden en 1860. Ce ne fut que le début....
Sous la menace de la concurrence des Etats-Unis orchestrée par l'implacable Buchanan Duke et son American Tobacco Company, les Britaniques durent s'organiser.
La société Imperial Tobacco fut créée en 1901 par la fusion de treize compagnies de tabac et de cigarettes britanniques:
Le Premier président de l'Impérial Tobacco fut Sir William Henry Wills de la Société Wills, devenu Lord Winterstoke en 1906.
Cependant, pour conquérir le marché mondial, le pragmatisme anglo-saxon l'emporta. En 1902, la société britannique Imperial Tobacco et la société américaine American Tobacco Company s'accordèrent pour mettre fin à leur guerre commerciale. Ils convinrent de former une joint-venture :
la British-American Tobacco Company Ltd.
Les sociétés mères sanctuarisèrent leurs territoires nationaux et attribuèrent leurs "marques export" à la BAT et à ses filiales à l'étranger. (American Tobacco vendit ses parts en 1911, mais Imperial a maintenu des participations dans British American Tobacco jusqu'en 1980)
James B Duke fut le premier président.la «British American Tobacco Company Ltd».
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Après la mise en production en 1885 des machines Bronsack, James Duke s'exclama lors d'une réunion de cadres commerciaux: «Apportez-moi un atlas ..!». Il alla directement au tableau de la population mondiale par pays. Il vit au premier rang un pays de 430.000.000 d'habitant. C'était la Chine. Alors, Il déclara à ses cadres : «Ici, nous allons vendre nos cigarettes». Ainsi commença l'aventure chinoise de la BAT.
Le traité de Shimonoseki, qui mit fin à la guerre sino-japonaise en 1895, garantissait moult privilèges aux entreprises japonaises. Les pays occidentaux engagés dans la course au «marché chinois» (et surtout à son dépeçage) réclamèrent la mise en place de la «clause de la nation la plus privilégiée». Les USA atteint eux aussi de la maladie du «mythe chinois» ne furent pas les derniers à faire mouvement dans ce sens. Les résultats pour les business-men ne furent pas toujours à la hauteur de leurs espérances. Les historiens des relations sino-américaines ont généralement estimé que les chances de réussite des entreprises américaines en Chine entre 1890 et 1915 étaient faibles.
Pourtant cela fut loin d'être le cas pour James B Duke et son American Tobacco. Les résultats le prouvent :
Les contacts et la prospection avaient largement commencé avec la Duke's Américan Tobacco Company bien avant la création en 1902 de la BAT. Celle-ci investira en chine à grande échelle à 1902 de 1915.
Le premier directeur de la BAT en Chine fut C.E Fiske de 1905 à1905. James A Thomas arriva en 1905, il restera jusqu'en 1922.
Le succès de Duke en Chine peut être largement attribué à James Augustus Thomas. Ce fut l'homme de James B. Duke en Chine pendant plus de deux décennies.
C'était le fils d'un colonel confédéré reconverti en colporteur de tabac itinérant dans le comté de Rockinghamen (Caroline du Nord-NC-). Né en Lawsonville (NC), Thomas était un enfant du Sud. Après un cours séjour au « Eastman Business Collège » à Poughkeepsie (NY), il devint un colporteur de tabac comme son père.
Visionnaire, Thomas a utilisé son ingéniosité mercantile pour développer une approche innovante de ce qu'on appelle maintenant le marketing. Il a réussi l'assimilation d'un produit étranger par la plus ancienne culture du monde, en transformant ce qui avait été précédemment en Chine, un luxe rare, en un accessoire de mode populaire. Thomas a provoqué une addiction de masse accessible à l'homme de la rue.
Finalement, il a créé un rituel social qui perdure encore de nos jours. Ses concepts publicitaires innovants, avec notamment des affiches mettant en vedette des jeunes et très jolies jeunes femmes habillées à la mode, ont promu l'image de la cigarette comme étant la chose la plus civilisée, cultivée et courtoise à faire. A l'heure des massifs bouleversements socioculturels de la fin de l'empire fut la démarche idéale correspondant à la mentalité chinoise.
Ainsi dans les années 1920, les cigarettes furent considérées comme un passe-temps viril pour les hommes et glamour pour les femmes. A ce jour, après 80 ans et deux révolutions, la cigarette est étroitement intégrée dans la culture populaire chinoise ce qui pose évidemment de très graves problèmes de santé publique qui s'ajoutent ceux que provoque la pollution urbaine.
Laissons parler J.A Thomas :
«Je conçus l'idée de faire un paquet de cigarettes qui peut être acheté avec une de ces petites pièces de monnaie chinoise» écrit Thomas dans ses mémoires, « Un marchand de tabac, pionnier dans l'Orient», publiée par la Duke University Press en 1928. "Je voudrais générer des bénéfices pour le fabricant, le grossiste et le détaillant, mais prendre également en considération le coût, le fret, l'assurance et les impôts. Pour tout cela, le consommateur chinois doit seulement échanger sa petite pièce de cuivre pour un paquet de nos cigarettes... "
J.A Thomas fut un acteur majeur de Shanghai durant son apogée, étagé entre l'effondrement de la dynastie Qing en 1911 et l'escalade des hostilités japonaise dans les années 1930. Thomas participa à la floraison d'une culture matérielle urbaine et apporta au «Paris de l'Asie» une tendance de modernité qui s'étendra ensuite sur tout le littoral chinois. Tout le Shanghai des écrivains et des intellectuels engagés (comme Lu Xun ou le professeur Chen Duxiu, le fondateur du Parti communiste chinois) a fumé « L'american taba c».
Entre 1920 et 1923, Thomas obtient un «leave of absence» (congé) de la BAT pour organiser la Chinese American Bank of Commerce conçue par un groupe de financiers de Wall Street en étroite liaison avec la famille Song. Il s'agissait de renforcer le gouvernement du Kuomintang et d'introduire les méthodes américaines d'ingénierie financière en Chine (depuis l'élève a dépassé le maitre). La Chinese American Bank of Commerce a été la matrice de la Industrial and Commercial Bank of China (ICBC), désormais la plus grande banque commerciale de la République populaire de Chine
Au moment où il quitte la Chine pour de bon, en 1923, J.A Thomas, «the brillant américan Taîpan» a fait fortune. Avec l'aide de son épouse Dorothy Quincy Hancock Lire de trente ans sa cadette, il a contribué à fonder deux écoles, un collège médical, et un comité de lutte contre la famine. Il est nommé « Mandarin à bouton de cristal» par l'impératrice douairière en reconnaissance de ses services à la Chine et décoré par le Dalaï Lama. Pourtant, plus que quiconque, il a été un des responsables du lancement du tabagisme en Chine, addiction de masse qui persiste aujourd'hui.
Selon l'historien d'entreprises américain Sherman Cochran, le succès de la BAT en Chine résulte de sa décision de ne pas écouler ses marchandises excédentaires sur ce marché, mais d'investir dans la création d'une entreprise efficace et intégrée verticalement. (Ce qui est le contraire de la politique colonialel des entreprises européennes). Pour ce faire, James Thomas va s'appuyer sur deux méthodes de distribution concurrentielles.
Bien que ces deux types de réseaux furent en compétition les uns contre les autres, la réussite de l'entreprise en Chine reste un exemple de stratégie commerciale. Peut-être fut-elle inspirée par le jeu favori des Chinois le majong ?
La BAT en 1902 se trouvait en face d'une concurrence chinoise composée de quelques fabricants de cigarettes aux capacités limitées. Il s'agissait plus d'un gros artisanat que d'une industrie. Quant à la distribution, elle était régionale, bien que le développement des chemins de fer va bientôt changer les choses. La seule entreprise qui s'avèrera capable d'appliquer les règles de management d'Alfred Chandler dont James B Duke fut un précurseur et les méthodes de marketing sinisées de James A Thomas (qui assurèrent la réussite de la BAT en Chine) fut la Nanyang brothers tobacco company.
Deux hommes vont être les maitres d'œuvre de cette réussite industrielle et commerciale : Jian Zhaonam et son frère Jian Yujie. Originaire de Foshan dans la province de Guandong . Ils vont introduire un paramètre qui va se révéler un moteur puissant: le nationalisme chinois. Il faut se mettre dans le contexte l'époque, l'humiliation, le dépeçage de la Chine suite aux traités inégaux pour comprendre que le slogan «no American cigar» de Nanyang peut-être une arme commerciale et politique efficace.
L'ainé des frères, Zhonan s'était expatrié au Japon en 1880 où il acquiert, expérience, capital et technologie. Il prospère en premier dans le négoce de produits divers allant de l'accastillage aux produits pharmaceutiques. Après la guerre sino-japonaise de 1894, il s'installe à Hong-Kong et à Bangkok où se trouve déjà son oncle Jian Mingsh.
Avec son jeune frère Yujie, il créait en 1902 à Kobé la Sheng-Tai Navigation et en 1905, ils fondent la Nanyang Brothers (nanyang signifie : mer du sud). Ils construisent une petite usine à Hong-Kong. Celle-ci est mal équipée ne produit que 300000 cigarettes jour, moitié à la machine, moitié à la main.
La matière première, c'est-à-dire la feuille de tabac, fut le problème des frères Jiang et leur handicap face à la BAT. Pour y remédier Jiang Zhaonan signe en 1918 une «joint venture» avec John O Gravely, dit «Jack», un grossiste de feuilles de tabac de Caroline du Nord. C'est la China American Tobacco Company. Celle-ci a des succursales à N.Y, Kobé, HK et Shanghai. Elle va fournir une grande partie de la matière première à Nanyang Brothers. Cependant des difficultés de qualité des feuilles de tabac, de taux de changes et de logistique feront qu'en 1929 les Nanyang vendront leurs parts.
Jian Zhaonan décède en octobre 1922. La succession est difficile, Jian Yujie, malgré ses qualités, n'a pas la poigne et le charisme de son frère. Au fil des ans les difficultés vont s'accumuler.
En 1937 T.V Soong, beau-frère de Chiang Kai chek, ministre des Finances, prend 27 % des parts de la NBTC et contrôle rapidement l'affaire à peu de frais. Mais s'il ne l'avait pas fait Nanyang aurait disparue, et ce ne fut pas, il faut le reconnaître une bonne affaire. L'invasion japonaise de la même année détruira une grande partie des usines chinoises. Les Japonais confisqueront les filiales de Nanyang dans les zones occupées du Sud-est asiatique.
Après la défaite du Japon, en 1945, chacun retourna vers son marché. Et l'on voit la BAT et Nanyang s'épauler mutuellement pour faire repartir les usines. Début 1949 avant l'arrivée des communistes, TV Soong déménage en catastrophe le siège de NBTC à Taiwan. En 1951 le gouvernement de la République populaire de Chine « pré nationalise » la Nanyang en signant une sorte d'agrément avec les Jiang, appelé : « joint supervision and private mangement ». Jiang Yuchie se vit attribuer le titre de : « bourgeois exemplaire » et fut élu député de la province de Guandong au congrès national du peuple.
La BAT fut confisquée, mais elle fit bonne figure en se disant que de toute façon le marché n'était plus rentable compte tenu de la situation. Tous comptes faits l'avenir fut de part et d'autre ménagé.
La Chine est aujourd'hui le premier producteur de tabac dans le monde. La China National Tobacco Corporation (CNTC) est le leader mondial du tabac. Le monopole d'Etat emploie 520 000 travailleurs, produit plus de 500 marques dans 183 usines, 150 centres de séchage et elle dispose de 30 instituts de recherche.
La British Américan Tobacco est le 3° opérateur mondial....
©-RCI– 2/2/2012 –Alain Villefayaud
Bibliographie :
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