Secteur informel et PIB en Afrique

Etude réalisée par Moshen TOUMI (expert auprès des agences  de l'ONU) pour la revue ACCOMEX  N° 37 janvier février 2001 p14 publié avec l'autorisation de la  Chambre de Commerce et d'Industrie de PARIS.

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afriqueLe voyageur de nuit, en Afrique sub-saharienne, sait qu'il arrive dans un village ou dans la périphérie d'une ville ( y compris les capitales) quand il aperçoit des loupiotes, à l‘horizon. C'est le marché de nuit, composé de centaines de petits «étals», offrant des plats cuisinés, des cigarettes, des piles, des boîtes de sardines, des allumettes, détenus en majorité par des femmes. C'est la première image _ devenue cliché _ du secteur informel. Longtemps, on l'a défini comme un archaïsme destiné à disparaître avec le développement des hiérarchies administratives. Ce fut, surtout, le credo des années « socialisantes ».  Et pourtant il existe encore et il prospère. On a prédit que la comptabilité analytique, l'informatique, le développement des moyens de communication allaient le rejeter au musée des curiosités. Il  se trouve que dans certains pays, il a devancé les administrations publiques dans l'adaptation au modernisme et l'acquisition des technologies télématiques. Raison de plus pour essayer de le cerner (autant que possible) et d'en tenir compte.

Le champ du secteur informel

Activité familiale, à petite échelle, sans comptabilité, sans salariat déclaré, éclatée. Jusqu'à la fin des années 1970, le secteur informel demeurait pratiquement insaisissable et difficile à évaluer en terme d'emploi et de chiffre d'affaire.

Il ne fut pas l'objet de recherches universitaires ou d'études professionnelles es titres.  Des économistes, dans le cadre général de Programmes de Développement financés par des institutions internationales, en découvrirent l'importance, recueillirent des données de terrains abondantes. Il essayèrent d'inclurent l'appréhension et la qualification du secteur informel, ainsi que l'identification géographique de grandes aires dans les termes de références des programmes qu'ils dirigeaient ou auxquels ils participaient. Leurs initiatives ne furent pas encouragées. Les bailleurs de fonds n'en voyaient pas l'intérêt. Les pays concernés souhaitaient que l'on mette en avant leur « image moderne ».

Dans ces conditions, il ne fut pas possible de rassembler les efforts et, surtout,  d'élaborer une méthode de travail. Il en résultat des contresens comme l'analogie systématique avec le  « travail au noir » tel qu'il a cours en Europe, la réduction du secteur informel au seul petit commerce à faible capitalisation ou à l'autosubsistance en milieu rural. Il en résulta aussi une restriction géographique : on imagina qu'il n'existait qu'en Afrique francophone. Depuis la moitié des années 1980 et aujourd'hui, surtout, le secteur  informel déborde de ses cadres. A des degrés divers, les 53 pays du Continent Africain lui doivent une partie de la création de richesses et de postes d'emplois.

Il s'est hiérarchisé et diversifié : des petits tas de légumes et de fruits on passe à des magasins fournis, proposant des tissus de qualités, de l'électroménager, des pièces de rechange pour moteurs diesel, des perceuses électriques, des pneus neufs et des matériaux de construction. De là, on débouche sur des circuits - juste discrets, pour le principe - qui proposent des photocopieuses, des télécopieurs, des portables et des PC. En bout de filière, on peut tout se procurer : du véhicule tout terrain au fusil d'assaut et au zodiaque muni d'un puissant hors bord, en passant par les diamants. L tontine traditionnelle englobe maintenant un secteur d'assurances prospères. L'accumulation est importante et bien que les transactions se déroulent souvent en cash, on découvre dans certains pays une comptabilité analytique, un parc informatique et des sites Internet auxquels bien des administrations et des entreprises publiques n'ont pas encore accédé. A cet égard, un échantillon de grandes places marchandes peut constituer une base de réflexion utile.

Congo : Cabinda 

En plus de celui de Ouenzé, à Brazzaville, qui n'a pas encore trouvé son dynamisme à cause de la guerre civile, l'autre grand marché à vocation sous-régionale, au Congo se trouve au sud et, durant  les années troubles que vient de traverser le Congo, a plutôt prospéré. Il se tient juste à quelques kilomètres de l'enclave (angolaise) de Cabinda, le long de la route qui part de Pointe noire et s'étire pratiquement de Djeno à la frontière. La région est un mélange de steppe herbeuse et de marais, marquée par le lac Nanga. En saison sèche, on traite les affaires des deux côtés de la route. En saison des pluies on commerce pratiquement au bord de la mer. On retrouve, ici, aussi, les étals traditionnels dont la clientèle, cosmopolite, présente un pouvoir d'achat élevé : les ouvriers et les techniciens du terminal pétrolier. 

L'activité principale, cependant, porte sur le pétrole lampant, recherché pour les lampes des nombreux villages non électrifiés, sur les pièces de rechange pour bateaux, les moteurs hors-bord, des pneus et, surtout, des voitures européennes et japonaises. Il s'en trouve pour toutes les bourses : depuis l'épave qui roule encore jusqu'à la 4x4 rutilante, avec climatiseur et radio stéréo. Mais qu'on ne s'attende pas à se voir présenter ces derniers véhicules : ils sont négociés en pièces détachées. On achète des caisses. Le montage se fait ailleurs, dans la périphérie de Point Noire, ou, plus souvent à Brazzaville. On évite ainsi deux inconvénients : les quelques barrages douaniers où il faut «  donner le billet » et surtout, le risque d'abîmer le véhicule en empruntant la nationale qui, n'est encore qu'une piste truffées de fondrières.

En la parcourant, la plus robuste des Land-Rover y laisse le tiers de sa durée de vie. Or, les acheteurs sont souvent des revendeurs ou des intermédiaires. Ils tiennent à présenter à leur commanditaire un engin en bon état. En plus de ces marchandises, on peut trouver, aussi, du matériel de forage usagé, des tubes d'acier de 12 voire 22 pouces et des groupes diesel, sans parler des cartons de 20000 cigarettes, des parfums et, des chaussures de sport aux logos prestigieux. Il est vrai que des containers entiers disparaissent du port de Pointe Noire et que les équipes des plates-formes  off-shore redécouvrent les délices d'un nouveau loisir : les échanges amicaux du week-end ou du Home Live que certains ne mettent pas à profit pour se rendre hors du Congo.

Bénin : Dantokpa

Au sud-ouest de Cotonou, au Bénin, sur la rive droite de la lagune, et à l'ouest du pont du 26 octobre, se trouve le Marché International de Dantokpa (MID). Il s'agit d'une grande bâtisse moderne, toute blanche, à étages : un centre commercial. Mais ce n'est là que le « tampon officiel» du MID. Le vrai marché, autour et à partir de ce bâtiment, s‘étend sur des centaines d'hectares. C'est, avec le port, le poumon économique du pays. La situation du Bénin, dans le Golfe de guinée, avec son frère jumeau, le Togo, les places entre les deux grands pays anglophones : le Ghana, à l'ouest et le Nigeria, à l'est. Son profil en longueur, orienté sud nord, en fait l'un des débouchés maritime du Niger, du Burkina Faso et, dans, une moindre mesure, du nord-est du Mali et du nord-ouest du Nigeria. Le port de Cotonou expédie leurs exportations et reçoit leurs importations. Des zones douanières propres leurs sont consacrées.

Une combinaison rail-route (l'opération Hirondelle) initiée par la France avant la seconde guerre mondiale, permet le dispatching des marchandises vers le Sahel, afin d'acheminer les marchandises (et les personnes) par le train, jusqu'à Parakou, dans le centre du pays, d'où une rupture de charge les achemine par la route jusqu'à Niamey et Ouagadougou.

Cette logistique fonctionne mais avec une inflexion : qu'ils aillent vers le port ou qu'ils en sortent, la plupart des produits (ceux à valeur ajoutée, surtout) effectuent un détour par Dantokpa. Certes, on y trouve les étals classiques des marchés africains : légumes, fruits, poissons frais, salés, séchés et fumés, petite quincaillerie, pharmacopée traditionnelle, petits artisans. A Dantopka, cependant, il faut « plonger », c'est-à-dire aller au-delà des étals. Des vêtements neufs et de la « fripe » civils et militaires, de coupe anglaise, en général, sont présentés sous d'immenses tentes, munies de cabines d'essayage et une batterie de couturiers les retaillent à vos mesures, le temps du marchandage. L'iceberg, cependant, ne se livre pas totalement. Une jeune avocate de Cotonou, mariée à un fonctionnaire, ferma son cabinet et s'installa à Dantopka, dans une aire occupée majoritairement par des dames. On y vend du tissu. Mais, surtout, c'est le « marché de l'argent » : munies d'une calculette, les commerçantes vous changent ou, surtout, vous vendent n'importe qu'elle monnaie : francs français, dollars, livres sterling, francs suisses, Deutsch marks. Elles peuvent aussi vous changer vos devises fortes en milliards d'Zaïres (aujourd'hui franc congolais) ou de Naïras nigérianes, si vous le désirez. Elles sont parfaitement au courant du change international du jour. Ces dames sont béninoises et togolaises, les fameuses «Mamma Benz» (1) qui font la fortune de la Côtière, la ligne aérienne qui joint Brazzaville à Dakar, après des escales dans les capitales des pays traversés. Celle de Cotonou est l'une des plus fréquentées : on ne fait pas l'impasse sur Dantopka. Ce marché ne constitue-t-il pas l'embouchure ultime de l'autoroute de 120 km qui joint Lagos à Porto-Novo?

Officiellement, elle est souvent fermée. En fait, elle est toujours empruntée, de nuit, surtout. C'est un pipe-line multi usages : produits manufacturiers (l'industrie nigériane est importante), médicaments fabriqués sous licences réelles, placebos, médicaments périmés aux origines géographiques indéterminées, produits sanitaires et cosmétiques contrefaits sous des étiquettes prestigieuses, whisky, grand crus bordelais, champagne, du moins selon les étiquettes, véhicules divers, matériaux de construction (surtout du fer à béton et du ciment). Le produit leader demeure le carburant. Le Nigeria est le plus grand producteur de pétrole du continent et dispose de raffinerie. Paradoxe, la pénurie est endémique à Lagos alors que le précieux liquide afflue par milliers de tonne, en jerricans et en camions citernes à Dantokpa ou chez des correspondants de ses opérateurs situés plus au nord, à l'est, dans les aires transfrontalières quasiment perméables. Le Nigeria  recherche les francs CFA. Après avoir ravitaillé le bénin (dans le village le plus isolé on peut se procurer quelques décalitres de fuel ou de super) le flux arrose le Togo et, au nord, une bonne partie de l'Afrique sahélienne. Dantokpa est ce qu'on appelle un marché consommateur ré expéditeur. De lui dépendent les autres grands marchés de l'intérieur les marchés producteurs lui expédient essentiellement des produits alimentaires et artisanaux; les autres relaient ses exportations tous azimuts. L'accumulation réalisée à Dantopka et ses relais se retrouve, en majorité, chez les hommes d'affaire de Porto-Novo, les grands patrons de l'activité marchande du pays. Leur ville, en théorie, est la capitale politique du pays. Mais, en fait elle en est la capitale financière. Les « boss » de Porto-Novo sont des habitués de Singapour, de Hong-Kong, de Kuala Lampour, de Shangaï, sans parler des capitales européennes, de Pittsburgh ou de Chicago. Ils traitent leurs affaires en millions de dollars US.

République Centrafricaine : la résurrection du « kilomètre 5 »

Situé à quelques kilomètres de Bangui, la capitale de la République de Centre Africaine (RCA), d'où son nom, le kilomètre 5 est l'un des plus importants marchés de l'Afrique Centrale. Son étoile a pâli, à la suite des troubles qu'a connus le pays jusqu'à 1997. Il lui est arrivé de « s'éteindre » complètement ou de n'ouvrir que du lever du soleil à midi ou à treize heure. La peur de l'ombre. Les gens voulaient regagner leurs quartiers avant la tombée de la nuit, que n'annonce aucun coucher de soleil languissant, sous l'équateur. Elle tombe comme une chape. Depuis le second semestre 1998, il retrouve une partie de ses activités mais se rétracte toujours trop tôt, à 15h, les étals se vident, les clients disparaissent, les boutiques baissent leurs rideaux. Au début de cette année 2000, le K5 retrouve à peu près son dynamisme et son animation d'entant, que lui a conféré, d'abord la géographie. Le territoire centrafricain exprime une tradition commerciale séculaire : Bangui, situé à quelques degrés du 4e parallèle nord, est presque équidistante de Bizerte, pointe septentrionale du continent africain et de Cap-town, sa pointe australe, autant que de l'Océan Atlantique, à l'ouest et de l'Océan Indien, à l'est. Cette localisation fit du marché de Bangui, durant des siècles (à l'instar de Mopti, au Mali, par exemple) une plaque tournante incontournable pour les échanges de marchandises un espace d'intégration culturelle d'ethnies diverses multiples et un espace linguistique polymorphe. Certes, aujourd'hui, on fait des affaires en Songo (langue unifiante en RCA), et, accessoirement, en français.

Mais, le Haoussa, le bambara, le lingala et même le swahili et l'arabe permettent de communiquer de par des origines diverses des commerçants, parmi lesquels on trouve des tchadiens, des soudanais et des yéménites, comme dans les ruelles de Nairobi et de Dar-Essalam. Les marchands et les clients du K5 viennent de toutes les régions du pays, surtout les éleveurs et les agriculteurs du nord et ceux de la région de Bambari, ainsi que les orpailleurs de l'est et du nord-est et les producteurs de poisson fumé de l'Oubangui.

Mais les gens viennent aussi du Congo Brazzaville, de la RDC (ex-Zaïre), du Tchad, de l'Ouganda et du Cameroun : Douala est le poumon économique de la Centrafrique, pays complètement enclavé. Le K5 présente deux faces, comme tous les grands marchés africains. La plus apparente est la face « locale » du petit article ménager en fer blanc de fabrication locale ou importé, (de Chine, de Taïwan, d'Inde, de Thaïlande), du tissus, des fruits et légumes, des cigarettes, etc. L'autre face, plus discrète mais autrement plus importante, est la face internationale. Le K5 (avec les entrepôts disséminés dans tout Bangui et ses périphéries) reçoit, pour l'essentiel, des produits manufacturés, du matériel dernier cri pour la bureautique, l'informatique (des clones de bonne qualité et même des marques), l'élèctro-ménager et tout les appareils audio-visuels (de clients ont pu s'y procurer des  téléviseurs 16/9).

Un nouveau produit dope, aujourd'hui, le K5 : celui des téléphones cellulaires à cartes, depuis le dernier Nokia (avec fax, SMS, et Internet) jusqu'au gadget à trois sous rutilant de couleurs fluos. Ces marchandises high-tech fournissent surtout les banques, la bourgeoisie locale et les européens résidant dans le pays. Une partie du matériel, cependant, s'exporte vers les pays limitrophes, la RDC, surtout, pays, très perturbé par la guerre civile. De grands marchands du K5, sans les amener jusqu'à Bangui, négocient des troupeaux du Tchad et du pays Boro, accompagnés de plusieurs familles de maquignons qui finissent par s'installer en RCA en travaillant dans les services et , notamment, dans l'hôtellerie. Des transactions portant sur trois mille têtes de bovins et de camélidés se sont conclues au K5. Bien entendu elles ne s'y trouvaient pas et les camélidés ne symbolisent pas la RCA. En fait, la puissante FNEC (Fédération Nationale des Eleveurs de Centrafrique) sans enfreindre aucune loi, joue un rôle de pivot et d'arbitre dans de telles transactions. Les bêtes sont parties d'un pays limitrophe pour parvenir au Mali et en Libye.  «C'est normal, s'est exclamé un membre de la FNEC, le centre diffuse vers la périphérie» heureusement que la périphérie, aussi, alimente le centre.

Sénégal : Sandaga et « ses fils qui vont partout »

Il n'y a pas de pays africains, ou presque où l'on ne trouve pas des commerçants et des artisans sénégalais. Ils sont à Cotonou, à Libreville, à Abidjan, à Abidjan, à Conakry, à Accra, à Bata (guinée équatoriale), à Poto-poto, à Brazzaville, à Dar-Essalam, à Djibouti, dans les îles du Cap-vert (bien entendu), au Rwanda, au Togo, à Naïrobi (ils sont les seuls à pouvoir concurrencer les autochtones d'origine hindoue et pakistanaise) à Gaborone (Bostwana) et un peu partout en République Sud-Africaine (sauf dans l'état d'Orange qui n'a pas encore entendu parler de Nelson Mandela). Évidemment, ils s'activent partout en Afrique sahélienne. Les dames de Ouagadougou, de Bamako, de Yaoundé (y compris des épouses et des filles de diplomates étrangers) sont friandes, à juste titre, des bijoux sénégalais comme colliers à feuilles de palmier. Elles les achètent dans des boutiques coquettes (mais hors des centres-villes) avec des certificats de garantie ornés d'impressionnants tampons. Ces sénégalais qui s'expatrient ne sont principalement joailliers, tailleurs spécialisés dans les costumes de cérémonies, gambistes. Ils travaillent souvent (et reçoivent  la clientèle) dans leurs domiciles. Ils sont pêcheurs, aussi : avec les ghanéens ils sont dompteurs de barres et les rois de l'Atlantique. Ce sont aussi de remarquables métallurgistes : avec des métaux de récupération, ils élaborent, pratiquement, tout ce qu'on leur demande. Il y a l'image, bien connue, des « attachés cases »fabriqués à partir de canettes de bière et de sodas. Elles sont entrées, déjà, chez les collectionneurs et figurent dans les musées. Mais ils sont plus habiles encore : des pièces de moteur, des ailes de 4x4, des aspirateurs, même, faits de bric et de broc mais qui fonctionnent, sortent de leurs mains habiles.

Un vieil hélicoptère blanc, opérant pour le compte d'une agence de l'ONU dans la région des grands lacs et surnommé, par un persifleur « White Dunkey », à cause de ses piètres performances, eut une de ses pales tordues : branlebas de combat technologique chez les amis anglo-saxons! Il fallait le laisser pourrir et en commander un autre, neuf! Mais l'ONU n'a pas d'argent. Alors il fallait commander non pas une pale, mais tout un jeu de pales en Amérique du nord! Un mécanicien africain suggéra de s'adresser à un atelier situé au bas d'une colline, une bâtisse faite de tôles branlantes et de murs en torchis. Un officier autrichien l'y accompagna. La pale fut récupérée après dix jours, flambant neuve et prêtre à reprendre du service. Elle sert encore. « White Dunkey » a été cédé à un pays de la région. Une des caractéristiques de ces habiles sénégalais qui «essaiment» est qu'ils sont capables de fournir à peu près tout ce qu'on peut imaginer. Se procurent-ils les objets pour ensuite les revendre? Où? On n'en sait rien. Les fabriquent-ils? En général, oui. Le marché de Sandaga, à Dakar et ses lieux annexes, constituent, où qu'ils soient, leur base première. C'est là qu'ils apprennent à créer et à vendre et c'est de là qu'ils partent. Sandaga tient autant des souks couverts nord-africains que des marchés sub-sahariens. Il regorge de produit manufacturés (élèctro-ménager, tissus, tapis fabriqués en Belgique), d'équipement semi industriels ou industriels (entreposés ailleurs en ville ou même à Thiès). Des vendeurs à la sauvette proposent des bijoux-pièges : fausses perles et pièces en os d'éléphant que le gogo prend pour de l'ivoire. Les commerçants de Sandaga possèdent, aussi, des magasins dans les artères modernes des grandes villes sénégalaises, où ils proposent, dans des vitrines soignées, les mêmes produits qu'ils vendent à Sandaga : prêt-à-porter, robots ménagers, épices fines, le tout reconditionnés, et proposé deux fois plus cher, cela va de soi. L'une des caractéristiques des sénégalais est que s'ils sortent leurs capitaux pour leurs activités à l'étranger, ils réinvestissent, aussi, massivement, dans leurs pays. Bien entendu, à part ce que rapportent les magasins de centre-ville (chiffre d'affaire faible, et sciemment, peut être) les transactions commerciales et les investissements ne passent pas par les banques. On dit que « Ils passent par où ils passent ». Activités locales et extérieures confondues, Sandaga et les autres marchés des plus importantes villes sénégalaises, plus ou moins contrôlés par Sandaga, ont généré, selon des estimations faites en 1998-99, l'équivalent de 25% à 35% du PIB déclaré du Sénégal.

Togo-Burkina Faso : Le « gros rouge » de Sekanse

Quand le grand axe bitumé qui joint Ouagadougou, au Burkina Faso, à Lomé, au Togo, arrive à la frontière entre les deux pays, il s'élargit, alors, comme un fleuve à son embouchure, en une ville marché longue de plusieurs kilomètres, Senké. C'est avant tout une place internationale de l'agro-alimentaire. La plupart des marchands sont des grossistes : le maïs se vend par sacs de 50 kg, l'huile de palme ou d'arachide (la plus chère) ne se trouve qu'en jerricans plastiques de 10 et 20 litres. Le sel se propose en sac de 10 kg.

Légumes et fruits se négocient par camions. La proximité du port de Lomé, l'un des débouchés de l'Afrique sahélienne et la bonne qualité de la route permettent un trafic permanent- et vital pour tous- de poids lourds qui atteignent souvent les 30 tonnes. Des containers remplis de produits manufacturés en provenance d'Europe, d'Amérique et d'Asie (très nombreux, ceux-là) s'ouvrent (ou se descellent), à l'écart du bitume, dans des hangars de fortune pour déverser sur le marché de centaines d'équipements électroménagers, du matériel Hi-fi, des meubles en kit, des rouleaux de papier pour rotatives, des produits pharmaceutiques (non frelatés), des cartons de champagne, de whisky et, le visiteur en est resté coi, plusieurs fioles de ..... Saké! Plus que tout, domine le nombre de machines à coudre mécaniques et électriques. Les containers eux-mêmes se vendent et cher. Le destinataire officiel de ces marchandises est parfois- en toute légalité- un transitaire de la place et, souvent, une administration ou des magasins des villes sahéliennes. A Sekensé, ville binationale, on s'attend à trouver, au milieu de l'axe routier, des barrières douanières en chicane, comme dans d'autres lieux analogues. Il n'en est rien. Nul n'est capable de préciser quand on est au Togo et quand on se trouve en territoire burkinabé, d'autant plus que des piétons, des motos et des pick-up débouchent, des deux côtés, des nombreuses pistes héritières des anciens chemins d'avant le modernisme. Même le terrible raccourci qui évite le bitume, depuis Tengodogo, au sud de Ouagadougou, passe par Sanga et débouche juste au milieu du marché, trouve client. Un autre raccourci, moins cassant pour les essieux mais riche de promesses d'embourbements permet à de téméraires camionnettes d'amener des cageots de tangerines et des tilapias frais du barrage de Bagré et des périmètres qui l'irrigue. Curieusement, elles arrivent à demi-vides. Elles ont fait un petit détour par Tiébélé, au Ghana, où les prix sont plus rémunérateurs qu'à Senkensé. En fait, il existe des postes de douanes : deux bâtisses séparées de deux cents mètres et situées, toutes deux sur la gauche du bitume, dans la direction du Burkina Faso-Togo. Les fonctionnaires des deux postes sortent rarement contrôler les véhicules. D'une manière générale, ils se contentent de poser, à tout le monde, quelques questions à partir d'un petit guichet. Au poste burkinabé, une interrogation récurrente surprend le visiteur : « avez-vous du vin? » On répond que non : il n'y a ni Bordeaux, ni Chianti à Sékensé. Le douanier précise « Non du vin togolais ». C'est que le Togo produit du vin, un bon gros rouge qui titre à 14, voire 16 degrés. La vigne a été introduite par des familles italiennes, avant la deuxième guerre mondiale et les vignobles se sont étendus (quelque peu), depuis. Les marchandises venues de Lomé comportent une bonne part en provenance de Dantokpa mais aussi du Nigeria (des moteurs, pour l'essentiel, et des groupes Diesel). Les clients viennent, en majorité des pays sahéliens. Il en vient, aussi, de l'ensemble du Golfe de Guinée et de l'Afrique de l'ouest. Au départ de Sékensé les camions pleins ou rechargés s'ébranlent vers le nord- et remontent jusqu'à Niamey et Bamako.

D'autres piquent vers l'ouest, en saison sèche, surtout, par la route carrossable qui traverse le Ghana pour rejoindre la métropole économique burkinabé Bobo-Dioulasso dont le marché, alimenté par la voie ferrée qui relie à la Côte d'Ivoire, gonfle alors comme un torrent après la pluie et irrigue, à son tour, l'ensemble des pays sahéliens, Sénégal y compris.

Les marchandises peuvent, aussi, « descendre » jusqu'à Conakry. Mais, à leur départ de Sékensé, plusieurs véhicules repartent vides et, parfois, endommagés. On les rencontre sur la route, baleines échouées sous lesquelles s'affaires des lilliputiens : des chauffeurs et convoyeurs qui procèdent à de réparations ou, simplement se reposent. Ils appréhendent ce qui les attends, quand ils arriveront à destination, avec leurs camions vides : tous sont munis d'attestations « de vol et de pillage dus aux coupeurs de routes ». Mais personne n'est dupe. Les choses s'arrangent, des fois et des fois finissent mal : le conducteurs et son compagnon finissent en prison. En février 2000, les pays de la CEDEAO viennent de décider de supprimer les barrages fixes qui gênaient la circulation -vitale- du trafic et donnaient lieu, parfois, à des « combines » peu recommandables et de les remplacer par des brigades volantes mixtes, plus capable, d'ailleurs, de poursuivre les véhicules qui « s'échappent ».

Comme son frère jumeau, le Bénin, le Togo, avec ses 56 785 km², est l'un des poumons économiques d'une aire de plusieurs millions de km². Avec son frère jumeau, aussi, il constitue un lien-ou un sas, comme l'on veut- entre l'Afrique francophone et l'Afrique anglophone, demeurées longtemps étrangères l'une à l'autre. Une rivière très fréquentée symbolise ce rapprochement et rappelle, en même temps, que l'histoire et la géographie défient les cartes politiques : c'est la Pendjari. Elle prend sa source dans le massif de l'Atakora, au nord du Bénin contourne le parc national qui porte son nom, dessine la frontière avec le Burkina Faso, revient sur son territoire d'origine, après le camp de chasse de Porta puis entre au Togo, où elle change de nom : on l'appelle alors Oti, en coulant parallèlement à la Shiéni, l'un des multiples affluents du Lac Volta, dans lequel elle se jette. Retour des choses, l'électricité produite par l'aménagement du lac et celle surtout du barrage d'Akosombo au sud-est, est exportée, en partie vers le Bénin et le Togo.

Tanzanie : « Tous à Zanzibar! 

Bien qu'avec ses 1600 km², l'île de Zanzibar ne représente que 1,69 millièmes de la superficie totale de la Tanzanie, (945 000 km²) elle lui a donné, pourtant, la moitié de son nom. Tanzanie reprend les premières syllabes de Tanganyka et de Zanzibar. L'île sous protectorat britannique depuis  1916, accéda à l'indépendance en 1963, deux ans après le Tanganyka (1961). En avril 1964 les deux pays fusionnent. La création de la Tanzanie, sous la direction de Juluis Nyerere (2) intervient deux mois après la « révolution de janvier » qui a mis fin, dans l'île, à la domination du sultanat.

Et cet effet de vitrine a servi leur crédibilité. Certes, l'agriculture demeure une activité lucrative : la production de clous de girofle a, peu à peu, supplanté celles du riz et de la canne à sucre. Zanzibar est aujourd'hui le premier exportateur de ces pointes noires que les prêtres égyptiens mastiquaient pour avoir bonne haleine devant le pharaon et que les docks du Havre et de Hambourg traitent encore -avec le safran- en denrée précieuse. Mais cela ne suffit pas à définir l'île en tant que marché.

Des bureaux modestes et impossibles à découvrir pour celui qui n'est pas « recommandé » se tapissent derrière les Moucharabieh (3) en bois de cèdre. Derrière ces entrelacs, ce ne sont pas des « Houris » que l'on découvre, mais des businessmen, équipés des moyens télématiques les plus avancés. Ils sont en contact permanent avec le reste du continent, bien sûr, avec l'île  voisine de Penba (tanzanienne, elle aussi), avec le Kenya, les pays du Golfe, le sud-ouest asiatique et, surtout, Londres, Bombay et Hong Kong. Que vendent-ils? Qu'achètent-ils? Des clous de girofle, des produits manufacturés. C'est le voile. L'essentiel est ailleurs : pierres précieuses; du commerce de devises, courtage en tous genres et leasing pour boutres et cargos. Zanzibar est très liée au grand cosmopolite port de Mombassa, à l'extrême sud-est du Kenya. Les deux places se relient directement, par mer.

Certaines « réunions d'affaires » s'effectuent hors des eaux territoriales kenyanes et tanzanienne. Peut-on en savoir plus sur les affaires qui se traitent? Ce serait long à expliquer : elles ne peuvent s'appréhender que dans le cadre de l'ensemble de l'Afrique des Grand Lacs et des évènements tragiques qui s'y déroulent depuis que le début des années 1990 ; guerres, génocides, réfugiés errant par centaines de milliers. On peut tout juste esquisser deux « pistes » de réflexion : le Kenya et la Tanzanie contrôlent à peine 8% à 10% de leurs productions respectives de pierres précieuses, après le conflit du Rwanda, ceux du Burundi et de la RDC, constituent des débouchés fructueux pour les marchands d'armes. Les deux pays sont des riverains du lacs Tanganyka.

La rive gauche de cette mer intérieure débouche sur des contrées peu habitées, sillonnées par des routes anciennes qu'aucun des pays limitrophes ne contrôlent vraiment. Le propre d'un grand marché international est la portée de ses rayons de diffusion. Ceux de Zanzibar ne se mesurent pas en kilomètres mais en parallèles et en méridiens.

Les mamelles et les vecteurs du secteur informel

Les contrôles douaniers existent aux ports et aux aéroports. Par manque de moyens, sans doute, bien des irrégularités échappent à leur attention. Les contrôles terrestres s'effectuent généralement sur les axes situés à plusieurs dizaines de kilomètres en deçà des frontières, par des brigades volantes. Dans plusieurs pays, ces fonctionnaires (à l'instar des policiers, des gendarmes et des soldats) attendent des mois pour toucher une partie de leur solde. Ils trouvent légitime, alors, de se faire payer par des convois et de laisser les gens vivre leur vie.

Si on leur parle de corruption, ils invoquent la légitimité de faire manger sa famille. Les revenus, très insuffisants dans la fonction publique et même dans certaines professions libérales, poussent un grand nombre de cadres vers les activités informelles. Ils bénéficient ainsi de ressources managériales plus étoffées, et, de loin, que celles des administrations publiques. Il faut ajouter à cela la non correspondance de la géographie ethnique avec la géographie politique. Il est difficile, par exemple, de faire admettre à un Yoruba de Savalou (au Bénin) que son frère ou son cousin d'en face, au Nigeria doit payer des taxes pour lui amener des vivres, du pétrole lampant ou des matériaux de construction. La réciproque n'est pas plus admise. Comme les frontières sont très perméables et peu bornées, les flux les ignorent ou les « négocient ». Les causes fondatrices du secteurs informel, cependant, sont structurelles : la défaillance de la logistique commerciale « officielle »- la distribution, en particulier- et la faible capacité d'importation de produits « modernes » pour lesquels la demande est croissante. Elles se conjuguent avec l'implication de certains décideurs de haut niveau dans un jeu pervers : ils sabotent systématiquement les projets industriels locaux, afin de laisser libre cours aux importations informelles. Plus encore : ceux-là mêmes qui condamnent, au nom de l'état, sur la place publique, « les effets déstructurants » du secteur informel, en sont les « parrains », en bien des cas, directement ou par l'intermédiaire d'hommes de paille. Cette corruption devient encore plus rémunératrice dans les contextes de guerres civiles ou régionales. Aux denrées alimentaires et aux produits manufacturés s'ajoute alors le commerce des armes.

L'opacité dont le secteur informel a besoin (pour les transactions importantes) est servie par des vecteurs nombreux. Il y a d'abord  les routes séculaires qui traversent le continent. Elles n'ont disparu ni de l'espace et ni des mémoires. Des troupeaux les empruntent, depuis le pays Boro, au Cameroun, pour se retrouver à Lomé. Des convois de pirogues et de barges empruntent les voies fluviales et lacustres, comme les fleuves Sénégal, Congo et Niger et les grands lacs de la Rifts Valley le Victoria et le Tanganyka, surtout.

Autres vecteurs : les migrations saisonnières traditionnelles et les migrations nouvelles générées par les conflits armés. Ils arrivent souvent que les produits alimentaires et les tentes donnés par le HCR, le CICR et les ONG se retrouvent en vente à des centaines de kilomètres des camps de réfugiés. Il existe, aussi, des vecteurs purement monétaire : ils sont dus aux travailleurs trans-frontaliers entre le Mozambique et l'Afrique du Sud, le Nigeria et le Gabon, le Burkina Faso et la Côte d'Ivoire, etc... Le Rang sud-africain et le franc CFA sont très recherchés, sans parler des « monnaies G7 » que transfèrent -de la main à la main- les travailleurs en Europe. Tous ces vecteurs se trouvent dopés et confortés par le développement  des télécommunications. Au Cameroun et au Kenya, le commerce informel a ses sites sur le web. Les achats et les ventes s'effectuent par des cartes de crédits.

« Et pendant ce temps là » les douaniers continuent à verbaliser sur des carnets chiffonnés, en cherchant désespérément un Bic.

PIB officiel et PIB réel 

Les chiffres d'affaire et la capitalisation générés par le secteur informel ne se chiffrent pas en millions de CFA, mais en milliards de dollars. Où va cette accumulation? Se réinvestit-elle là où elle se réalise? Comment réajuster le calcul du PIB officiel en y ajoutant ce qu'elle représente dans tel ou tel pays? Le PIB qu'indiquent les tableaux des rapports de la BIRD, repris par l'ensemble des institutions internationales se calcule sur la base des données fournies par les pays déclarants, réunies selon le SCN (système de comptabilité nationale des Nations Unies). Cependant, des interrogations sur la validité de cette démarche ont été soulevées : la même grille du SCN peut-elle, en même temps, s'appliquer à la France, aux USA, au Japon, à l'Espagne, par exemple et aux pays en développement? Au sein même d'un continent comme l'Afrique, la démarche est-elle valable pour 53 pays? La notion de base de  « Branche d'activité » rend-elle compte de l'économie informelle? La banque Mondiale a pris en considération certaines de ces interrogations. Dès 1993, elle établit la « Révision N°4 » du SCN. En 1994, elle admet qu'il « ...n'est pas possible de parvenir à des chiffres strictement comparables à l'échelon international, surtout lorsqu'il s'agit d'activités économiques difficiles à mesurer, comme celles des marchés parallèles, du secteur non structurés, ou de l'agriculture de subsistance »

Ce constat n'a pas été suivi d'effets, à part quelques correctifs dans les séries statistiques. Il y a plusieurs raisons à cela. Le système de calcul et d'organisation des agrégats utilisé par la BIRD repose sur les principes de cohérence et d'homogénéité afin de donner une lecture comparative des économies mondiales. Ce souci est légitime. La lecture, cependant, demeure faussée. Deuxième raison : des décideurs politiques, dans plusieurs pays, ne semblent pas tenir à ce qu'on enquête sur le secteur informel. Certains d'entre eux en sont les entrepreneurs actifs, comme on l'a vu. Ils recommandent de s'en tenir au listing input output des douanes. Même quand des pays se démocratisent et organisent des élections libres, plusieurs candidats savent que le secteur informel peut financer des campagnes électorales et, aussi, représenter beaucoup d'électeurs. En admettant que l'on puisse surmonter ces deux premiers obstacles, on débouche sur le troisième, le plus dur à franchir : le secteur informel est extrêmement « fébrile » et « furtif » : en cas d'enquêtes administratives, de troubles politiques ou de tensions sociales, s'il estime qu'il ne peut pas en profiter il se rétracte ou se délocalise dans un pays voisin. Pour répondre à ces questions, quelques experts de terrain, depuis 1985, ont consignés leurs observations et leurs calculs, et les ont comparés pour aboutir à des estimations plausibles.

Pour ce qui concerne les pays dont on a évoqué les grands marchés, plus haut, les conclusions sont les suivantes pour ce qui est du rapport PSI/PIB : 50/60% au Bénin, 30/35% au Congo, 35/40% au Sénégal et au Togo, 40/45% RCA,25/30% au Burkina Faso et 45/50% en Tanzanie. Pour donner une lecture moins étroite, nous ajoutons le Kenya (45/50%) et l'Égypte (40/50%). En ne considérant que des pourcentages planchers on peut établir deux corrélations. La première compare le PIB au PIBC : la seconde rapporte le différentiel PIBC/PIB à l'encours de la dette extérieure.

Ce ne sont là que des tentatives fragmentaires. Certes, elles dessinent déjà la place importante qu'occupe le secteur informel sur le continent africain. Mais il convient d'élaborer des instruments d'évaluation qui permettent d'établir systématiquement des « PIB consolidés » (PIBC), c'est-à-dire la somme du Produit Intérieur Brut (PIB) et du Produit du Secteur  Informel (PSI). Ces instruments n'existent pas encore. La base de leur élaboration pourrait être une enquête de terrain qui procède à des balayages aussi exhaustifs que possible en les situant dans leur contexte globale : historique, sociologique, spatial et économique. Elle devra être rigoureuse autant que loyale vis-à-vis des opérateurs et du champ d'investigation en général. Méthodologiquement, elle s'articulerait autour de trois volets : investigations micro-économiques, comparaison avec les listing des douanes, inférence. Un tel travail interpelle directement l'OMC. Il permettrait, bien entendu, d'avoir une image plus nette de la situation économique des pays africains. Il pourrait inciter, aussi, le secteur informel à se réinvestir nationalement ou sous régionalement. D'après de bonnes sources, les grands managers de l'informel n'y sont pas systématiquement  opposés. Ils estiment même qu'ils seraient perdants s'ils ne prenaient pas part aux privatisations en cours des entreprises d'état. Mais, pour s'engager, ainsi, à découvert, ils demandent des garanties : amnistie fiscale, engagement de non saisie des capitaux par l'état, un état stable, qui leur inspire confiance. Et c'est peut-être là l'essentiel. Des opérateurs espagnol, portugais, marocains, israéliens ont su décoder ce message. Associés à des capitaux issus du secteur informel dans les banques locales offshore, ils investissent substantiellement dans plusieurs pays africains. Et qu'on ne crie pas au « Blanchiment de l'argent »! Il s'agit exactement du contraire : le rapatriement de capitaux « en retrait » dans les aires économiques mêmes où ils ont été générés. Il serait bon que les opérateurs français réfléchissent à cette démarche, quitte à l'améliorer, étant donné la profonde connaissance des pays africains de plusieurs d'entre eux.

Notes

  1. Ces femmes d'affaires aux fortes personnalités sont ainsi appelées parce qu'elles affichent leur réussite en roulant en Mercedes. Par extension analogique, le terme s'applique maintenant à toutes les riches commerçantes du golfe de Guinée et de l'Afrique de l'ouest. Certaines d'entres elles -parmi les plus âgées- ne savent pas lire et écrire mais elles ont le génie des affaires.... Et un sens dynastique matriarcal. Les fortunes et les commercent qui les génèrent se transmettent de mère en fille sinon, de tante à nièce.
  2. 1921-1999
  3. Balcons et ou fenêtres protégés par de claies en bois ouvragé qui permettent de voir sans être vu. En Afrique du nord on les appelle « Barmakli » (mot turc).