La bataille de l'eau en bouteille

Une illustration de la géo-mercatique

 

La consommation d'eau en bouteille augmente en moyenne de 12% par an, en dépit du prix excessivement élevé par rapport à celui de l’eau du robinet, ce prix tient compte de la fabrication, du transport et du coût de sa commercialisation. L’accès à l’eau potable est en soit un puissant révélateur d’inégalité social entre 1) les pays riches qui disposent d’une eau de bonne qualité au robinet mais qui absorbe 85% de la production d’eau embouteillée et 2) les pays pauvres où le simple accès à l’eau potable est rendu difficile de part sa quantité ou sa qualité. Rappelons que les maladies liées à l’eau tuent plus de 5 millions de gens chaque année (10 fois le nombre de personnes tuées par les guerres) et environ 2,3 milliards de gens souffrent de maladies dues à une mauvaise qualité de l’eau.

 

Image à boire

Cet article souhaite aborder la question de l’eau en bouteille car elle illustre l’aboutissement le plus poussé du marketing. L’eau potable, qui est (avec l’air) le bien le plus primaire et le plus indispensable à la vie de tout être humain, est déclinée en produit de consommation sous toutes ses formes, ses goûts, ses couleurs et… ses prix.

 

 

Le marketing qui est « l’ensemble des techniques permettant de faire correspondre l’offre produit d’une entreprise avec les attentes des consommateurs pour optimiser leur vente » va « transformer » un besoin vital (s’hydrater) en une envie (la soif). On dépasse ici le cadre de la consommation courante pour donner une image à un produit. Aussi, les arguments visant à éveiller nos cinq sens, et notamment celui du« faire du bien à notre corps » ne manquent pas. Après le succès des grandes marques connues au travers d’une image forte (ou d’une chanson Queenesque de type We will Rock you), les marchés de proximité sont porteurs (car gage d’authenticité). Cependant il faut aussi veiller aux impacts environnementaux que fait peser l’augmentation de la consommation d’eau embouteillée à la surface de la planète : les pays riches ont les moyens technologiques d’éliminer les déchets, pas les pays pauvre

 

Pourquoi buvons-nous de l’eau en bouteille?

Un nombre croissant de personnes se tournent vers les eaux de bouteille pour répondre à une partie ou à l’intégralité de leurs besoins individuels quotidiens. Les eaux en bouteille sont perçues comme plus saines et de meilleure qualité. Ce sujet relève dans les pays industrialisés plus du marketing que de la santé publique (mise à part dans les régions affectées par la pollution chronique de la nappe phréatique). Les consommateurs cherchent à retrouver la sécurité alimentaire perdue suite aux nombreux scandales de l'agro-industrie et dans les pays en développement, ils cherchent à se protéger contre les maladies hydriques. Même dans les pays bénéficiant d’un accès à une eau de boisson sûre, les consommateurs préfèrent parfois dépenser jusqu’à 1000 fois plus pour boire de l’eau en bouteille. Le graphique ci-dessus présente le marché de l’eau gazeuse, qui ne semble être apprécié qu’en Europe. La consommation de boissons gazeuses est souvent associée aux sodas (boissons sucrées gazeuses) dans les autres régions du globe.

Un marché mondial prometteur.

La consommation mondiale annuelle moyenne d’eau en bouteille s’élève à 15 litres par personne (progression constante depuis 30 ans). Au sein de l’industrie de l’alimentation et des boissons, le secteur des eaux en bouteille est le plus dynamique: la consommation dans le monde augmente, en moyenne, de 12% par an, en dépit du prix excessivement élevé de l’eau en bouteille par rapport à l’eau du robinet.

 

 

 

Consommation d’eau en bouteille dans le monde en 1999, en litres par an et par personne et en %.

 

 

 

Source: Bottled Water: Understanding a social phenomenon, étude consacrée au phénomène de société des eaux en bouteille, commandée par le Fonds mondial pour la nature (WWF).

 

Les habitants d’Europe, qui sont les principaux consommateurs, absorbent près de la moitié des eaux en bouteille du monde, soit une moyenne de 85 litres par personne et par an (marché en stagnation).Les marchés les plus prometteurs sont l’Asie (notamment le Japon) et le Pacifique, où l’augmentation annuelle atteint +15 % grâce à des partenariats (+20,5% pour Nestlé en 2005). En Europe occidentale, avec une moyenne de 107 litres par personne et par an, les plus grands consommateurs d’eaux en bouteille sont les Italiens. Aux Etats-Unis, 57% des Américains boivent régulièrement de l’eau en bouteille, la croissance des parts de marché y est de 12,2% (Nestlé a réalisé une année exceptionnelle avec +16,5% de croissance en 2005). En Afrique (de l’Est) le marché stagne, bien que la Coca-Cola Company ait lancé en 2004 l’eau « DANSANI ». Cette même société avait lancé sur tout le continent leconcept du Coca-Cola moins cher que l’eau en bouteille (soit 0,5 €/l), ce qui explique le succès des sodas de la marque (talonné il est vrai par son concurrent économique et culturel : Mecca Cola –le coca des musulmans).

  

 

Stratégie régionale : « l’eau de Pays » réinventée !

Vendre de l’eau produite « on ne sait où » ne fait plus recette à l’heure de la traçabilité et des produits dits de « terroirs » (mot en réalité galvaudé par les industries agro-alimentaires). Les grands groupes cherchent désormais à adopter une stratégie de proximité dans le plus strict anonymat, en mettant la main sur des sources locales. En France, le marché des eaux régionales progresse de 6 % par an, deux fois plus que celui des eaux nationales qui disposent tout de même d’une large domination en terme de parts de marché.

 

De la multinationale à l’entreprise de « terroir »

La croissance des eaux régionales a donné la pépie à Nestlé, qui réalise avec les marques locales 64,8% de son Chiffre d’Affaires (CA mondial de 5,7 Mds € ; +9,3% en 2005) ; 22,2% avec les marques internationales et 12% sous la la marque NESTLE (chiffres 2005, source « Nestlé Waters »).

 

 

En plus de ses marques internationales, le géant Suisse propose des eaux estampillées « terroir » : Plancoët en Bretagne ; Carola en Alsace ; Abatilles en Gironde... Mais il n’est jamais fait référence à Nestlé sur ces bouteilles. En effet, l'argument du « local » est tel que Nestlé ne communiquera jamais nationalement sur ses eaux régionales. Chaque usine fonctionne comme une petite entreprise autonome et la distribution de ces eaux ne dépassent pas les frontières de la région.

« Pour le distributeur, on est le reflet du consommateur local », affirme Thierry Courant (directeur marketing de la Société française des eaux régionales) [l’Expansion 06/12/2001]. Ce que confirme Manuel Lorimier, responsable marketing pour l'enseigne Carrefour des boissons sans alcool : « Il y a une notion de terroir attachée à la source. C'est une garantie d'authenticité. De plus, l'eau est un marché où la sensibilité à la marque est très forte. » Le consommateur achète une eau car il connaît l'emplacement de la source. En outre, comme le note Manuel Lorimier, « dans tout le marché des boissons, c'est à son eau que le client est le plus fidèle » [l’Expansion 06/12/2001]. En Alsace, près de 30 % des clients achètent de la Carola ; en Bretagne, le chiffre est de 18 % pour la Plancoët.

Communiquer localement

D'ailleurs, pour les campagnes de communication de ces marques, la stratégie Nestlé est identique : mettre en valeur l'identité locale, celle qui n’ont pas d’identité assez forte sont revendues (cas de le source Montclar dans les Alpes-de-Haute-Provence). Même le budget marketing est dépensé différemment, il n’est pas question de faire des campagnes télévisées hors de prix. Les marques d'eau sponsorisent régulièrement des manifestations du cru : Plancoët accompagne le festival interceltique de Lorient et celui des Etonnants Voyageurs, à Saint-Malo ; Abatilles est présent au festival du Film au féminin d'Arcachon, mais aussi au stade des Girondins de Bordeaux... « On colle à la problématique régionale, résume Thierry Courant. Carola, incontournable dans le Haut et le Bas-Rhin, parraine la météo sur France 3-Alsace. Et se retrouve sur les cartes des étoilés du Michelin de la région.

Jusque dans les slogans, la fibre régionaliste est de rigueur : « N'est pas Plancoët qui veut », revendique la seule eau minérale de Bretagne garantie « zéro nitrate » dans une région où toutes les nappes phréatiques sont polluées. Dans l'Est, la formule est encore plus saisissante. Avec 73 litres par habitant et par an, la consommation d'eau y dépasse largement la moyenne nationale (55 litres). Le slogan tient en deux mots : « D'Alsace, naturellement ».

Une tendance durable ? Après Perrier, Contrex, l'eau régionale accède à un segment très apprécié des consommateurs. Plus l'eau régionale est prisée, moins les marques nationales trouvent preneur. Les principaux perdants sont en particulier les eaux intermédiaires : Taillefine, de Danone, ou encore Courmayeur, du Groupe Neptune... Nestlé dame ainsi le pion à certaines marques nationales. Et, du coup, fait des émules parmi ses plus sérieux concurrents : en 1994, Danone, absent jusqu'ici des eaux régionales, a racheté la source auvergnate Mont-Dore.

« C’est bon pour le corps » ! … et pour l’environnement ?

La fabrication d’emballage et le transport sont responsables d’émission de gaz à effet de serre.

Bouteilles en plastique
Les bouteilles en plastique sont fabriquées avec du pétrole et du gaz naturel, c’est-à-dire avec des ressources non renouvelables. Pour mettre l’eau en bouteille, nous utilisons chaque année 1,5 million de tonnes de matière plastique. La substance avec laquelle on fabrique les bouteilles d’eau, le polyéthylène téréphthalate (PET), peut être recyclé en dépensant moins d’énergie que pour le verre et l’aluminium, et dégage moins d’émissions toxiques dans l’atmosphère. Cependant, la majorité des bouteilles en plastique (qui se décomposent très lentement) ne sont pas recyclées et s’amoncellent lentement dans toutes les parties du monde.

Ci-contre : Pollution sur la côte de l'île de Gorée (Sénégal) © UNESCO, Roger D .

 

Transport

Un quart des 89 milliards de litres d’eau mis en bouteille chaque année dans le monde est consommé à l’extérieur de leur pays d’origine. Les émissions de gaz à effet de serre provoquées par le transport des bouteilles d’eau au sein des pays ou d’un pays vers un autre contribuent au problème global du changement climatique. Cependant, 75% des eaux en bouteille sont produites et distribuées au sein de leur région d’origine, ce qui limite les effets du transport.

SITES WEB :

http://www.nestle-waters.com/

http://www.press.nestle-waters.com/fr

http://www.lexpansion.com/3230/95/art/134.0.108294.0.html

 

http://www.wateryear2003.org/fr/